Roger Edgar Gillet
La grande dérision
Musée Estrine – Saint-Rémy-de-Provence
14 février – 7 juin 2026
Roger Edgar Gillet (Paris, 1924 – Saint-Suliac, 2004) est un artiste emblématique de la peinture du second XXe siècle français et pourtant méconnu du grand public. L’exposition proposée conjointement par le musée Estrine et le musée des beaux-arts de Rennes constitue la première monographie rétrospective réalisée par des musées depuis le décès de l’artiste.
Roger Edgar Gillet se forme à l’école Boulle puis à l’école nationale des arts décoratifs, avant de devenir professeur de dessin à l’académie Julian. Cette formation lui transmet un goût pour le savoir-faire pictural et une maîtrise du métier qu’il va garder durant toute sa carrière. Dans le contexte du Paris d’après la Seconde Guerre mondiale, Gillet débute sa production en entrant de plein pied dans le mouvement de l’abstraction informelle ou lyrique. Il fréquente Georges Mathieu, Charles Estienne ou encore Michel Tapié, et réalise sa première exposition personnelle en 1953 à la galerie Craven. Il expérimente une pâte picturale mêlée de sable et de colle de peau, qui lui permet d’obtenir de somptueux effets de matière. Qu’il zèbre la peinture au couteau, qu’il travaille en surfaces solidement maçonnées, ou qu’il déploie des compositions complexes et tourbillonnantes, il expérimente sans relâche et joue des effets expressifs de la peinture.
Vers 1958, la peinture de Gillet laisse progressivement apparaître, presque malgré lui, la forme d’un visage et la persistance d’un regard. Au début des années 1960, il assume pleinement le retour à la figuration, par besoin d’affirmer la force du regard humain. Ce revirement à contre-courant de l’époque lui vaut d’abord l’incrédulité des galeristes et critiques, puis il est commodément décrit comme « expressionniste ». Gillet déploie le portrait d’une humanité décharnée et loufoque, à l’état indistinct, à peine extraite de la glaise picturale dont elle est issue. Il saisit au vitriol le théâtre de la vie : tas de gens faméliques, juges et huissiers, parades carnavalesques… Sa production explore alors les genres traditionnels de la peinture (portrait, peinture d’histoire, paysage urbain) mais chaque sujet est passé au crible d’un humour féroce : ainsi l’artiste parvient-il à proposer ce que pourrait être une peinture d’histoire du XXe siècle. Il met à profit sa fine connaissance de l’histoire de l’art pour phagocyter l’exemple des nombreux maîtres auxquels il fait référence : Rembrandt, Zurbaran, Goya, Manet, Ensor… En véritable peintre iconophage, il se nourrit aussi bien des tableaux vus dans les musées que des images aperçues à la télévision, ce qui explique sans doute que sa peinture mette en tension une dimension universelle avec les actualités du monde contemporain qui le traversent (guerres, surpopulation, famines…).
À partir de 1982, Gillet passe ses étés à Saint-Malo, puis il achète une maison à Saint-Suliac en Ille-et-Vilaine, où il va résider jusqu’à la fin de sa vie. La présence du littoral lui inspire une série de tempêtes dans laquelle il trouve une ligne de crête entre abstraction et figuration, qui lui permet de déployer toute sa virtuosité dans le traitement pictural. En 1996, dans un ultime mouvement de pendule parmi les incessants allers-retours qui marquent sa pratique, il revient à la primauté de la figure humaine avec une série de têtes d’expression d’une force extrême. Récalcitrant à toute classification, Gillet déclarait : « l’important, c’est de perturber le regard ».
L’exposition sera présentée au musée des Beaux-Arts de Rennes du 27 juin au 20 septembre 2026.
Édition d’un catalogue de 192 pages aux éditions Liénart.

